Conférence passionnante sur la souveraineté et la compétitivité européenne

Conférence du 6 janvier 2025

Mouvement Européen Paris – Jeunes Européens Paris

Comment faire en sorte que les européens puissent acheter de nouveau des
produits et des services conçus et développés en Europe, permettant ainsi de
se libérer de nombreuses dépendances et d’augmenter le pouvoir d’achat de
ses habitants ? Encore faudrait-il que l’offre soit au moins aussi appréciée et
aussi avancée que ceux qu’ils trouvent sur le marché. Derrière l’écart
d’innovation, le risque est la perte de souveraineté. Quel rôle important l’UE
peut-elle jouer pour l’éviter ?

Les rapports de Enrico Letta sur la réforme du Marché Unique et de Mario
Draghi sur la compétitivité de l’Union ont éveillé un grand intérêt et aussi
suscité de grands espoirs. Quand on lit leurs conclusions, leurs projections
sont difficilement contestables. L’écart par rapport aux grands concurrents de
l’UE se creuse. Au delà de l’extension du Marché Unique à de nouveaux
domaines comme l’innovation et l’éducation, de quels leviers dispose-t-on
pour financer les besoins en investissements pointés par les deux experts ?
Pour sa première conférence de l’année 2025 intitulée « Les enjeux de
souveraineté économique et de compétitivité pour l’Europe à la lumière des
rapports Letta et Draghi », le Mouvement Européen Paris a voulu revenir sur ces
deux rapports ambitieux, remis successivement à la nouvelle Commission en 2024,
dont l’objectif est d’alerter sur le maintien de la compétitivité de l’Europe dont le
décrochage inquiète.

Afin de faire face aux enjeux qui nous attendent (IA, transformation numérique,
transition écologique, énergie…), les investissements doivent être à la hauteur. Les
chiffres sont éloquents : Mario Draghi parle de 800 milliards d’euros par an pendant
la durée du mandat de la Commission, soit 4 000 milliards d’euros, alors que le plan
de relance de 2021 (Next Generation EU), entièrement financé par l’emprunt,
s’élevait à 800 milliards en tout et qu’il n’a pas encore été entièrement utilisé par les
États bénéficiaires faute de projets finançables. L’investissement sur 5 ans peut
paraître considérable à première vue mais il ne représente que moins de 5% du PIB
de l’UE sur la même période. Cela reviendrait à plus que doubler la part de la R&D
européenne par rapport à son PIB, un objectif qui compte-tenu du retard accumulé
n’a rien d’inatteignable. Encore faut-il choisir les bons projets.
Nous reviendrons sur le comment lors d’un prochain débat.

Pierre Jaillet, économiste et chercheur associé à l’IRIS, ancien Directeur Général en
charge de l’Économie et des Affaires internationales de la Banque de France,
Conseiller de l’Institut Jacques Delors et Grégoire Chauvière-Le Drian,
représentant en France de la BEI (la Banque Européenne d’Investissement) ont livré leurs analyses.

Après une décennie de mondialisation heureuse, l’économie traverse une crise
multidimensionnelle, qui se traduit par un ralentissement du commerce mondial.

D’après Pierre Jaillet, cette crise s’explique par une recomposition des chaînes de
valeur globale autour du numérique et des hautes technologies, mais aussi dans les
filières industrielles, portée par une hausse des prix des matières premières. À cela
s’ajoute le choc de la réélection de Trump, l’annonce d’une hausse des droits de
douane. « En réponse, il faudra s’attendre à des représailles de la part des
partenaires, ce qui aura un impact sur l’économie mondiale » précise le chercheur.
Une étude récente du CEPII ( https://www.cepii.fr/) anticipe une baisse de 3 % du commerce mondial.

Face aux Etats-Unis, le décrochage européen
Dans ce contexte, le rapport Letta « introduit des notions économiques, mais aussi
politiques car une l’Europe n’est pas qu’une zone économique : c’est aussi un projet
politique. Une monnaie unique ne peut fonctionner sur un marché fragmenté »
déclare le chercheur associé à l’IRIS. Le rapport pointe un manque d’intégration
dans les domaines suivants : énergie, télécommunications, défense et finance.
L’économiste propose un redéploiement des ressources, mais aussi un changement
au niveau du marché des capitaux. Parmi les pistes évoquées : un marché unique de
la titrisation, une harmonisation des règles sur l’insolvabilité…
« Le rapport Draghi est peut-être le premier rapport européen qui s’inscrit dans une
perspective géopolitique globale, tenant compte de la concurrence féroce des blocs
entre eux (Chine, États-Unis) » ajoute Pierre Jaillet. Or depuis 2003, l’Europe a
reculé de 15 à 25 % vis-à-vis de l’économie américaine en matière d’emploi et de
productivité. « Notre continent souffre également des prix élevés de l’énergie et de
l’absence d’un marché unifié dans le domaine de la finance. La réponse du rapport
Draghi ? Réduire d’urgence l’écart d’innovation en injectant 800 milliards d’euros
dans l’économie européenne, soit une hausse de 5 points du taux d’investissement
de l’UE ». Oui mais recourir aux investissements des États membres implique leur
accord… Or, sur ce point, les États divergent. Malgré le contexte, l’Europe tarde à
trouver un consensus et reste divisée sur le sujet des solutions à apporter. Pierre
Jaillet conclut en citant Jean Monnet : « L’Europe se fera dans les crises, et elle sera
la somme
des solutions apportées à ces crises. » Faut-il donc apporter la crise de nos vœux ?

Où trouver les ressources nécessaires ?
Les rapports Letta et Draghi ont mis en lumière les profonds changements en cours,
mais aussi l’absence de moyens permettant d’y faire face. Grégoire Chauvière-Le
Drian, représentant en France de la BEI (Banque Européenne d’Investissement),
revient sur les évènements de ces dernières années et rappelle la réactivité européenne
face à la crise de 2012 (pacte de croissance mobilisant 120 milliards
d’euros), la crise du Covid, les 800 milliards d’euros annoncés pour Next Generation
EU, le déblocage de 50 milliards pour soutenir les Ukrainiens contre l’attaque russe…

Pourquoi ce transfert du financement des Etats à celui de la BEI ? « Les marges de
manœuvre nationales sont de plus en plus limitées, ce qui nous pousse à nous
tourner vers l’Europe pour trouver des solutions de financement. La BEI, à titre
d’exemple, investit chaque année environ 12 milliards d’euros en France. Un budget
en hausse d’environ 10% cette année » note le représentant en France de la BEI.
Grâce à ce mécanisme créé en 1957 via le Traité de Rome, l’Europe s’est dotée
d’une capacité de financement qui ne pèse pas sur les finances des États.
Cependant, il existe une tentation – comme le montre la récente déclaration de
Budapest – de ne pas s’endetter davantage au niveau européen. « Nous n’avons pas
réussi à convaincre l’ensemble de nos partenaires que certains investissements liés,
notamment, à l’hydrogène, à l’intelligence artificielle et à la transition énergétique,
sont aujourd’hui stratégiques ».
Ce sera à coup sûr l’une des tâches prioritaires de la nouvelle Commission.

Une épargne en hausse de 20% depuis le Covid
Sans doute par précaution, les Européens, et en particulier les Français, épargnent
beaucoup. Une tendance en hausse depuis le Covid : + 20%. « Les Français et,
d’une manière générale, les Européens préfèrent les livrets d’épargne aux produits
financiers plus risqués » constate Pierre Jaillet, « De ce fait, nous nous retrouvons
face à un paradoxe : en Europe, nous épargnons beaucoup, mais cette épargne
finance les projets américains ». L’une des pistes consisterait donc à récupérer cette
épargne et la diriger vers des projets européens. « Les États-Unis se financent
largement par les capitaux, tandis que l’Europe se finance par les banques. La
titrisation permettrait aux banques de mettre sur le marché une partie de leurs actifs,
en faisant des crédits puis en les vendant sur leur marché. Mais il reste un écueil : à
ce jour, la titrisation ne fonctionne pas de manière harmonisée en Europe » conclut
Grégoire Chauvière-Le Drian. Pour résoudre le dilemme il conviendra de trouver
une solution mixte. Encore faut-il que les banques dans chaque État-membre
collaborent avec la Banque Européenne d’Investissement, supranationale, ce qui est
loin d’être gagné.

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