L’invasion de l’Ukraine par la Russie va-t-elle accentuer la proximité stratégique de la Russie et de la Chine ?
Christian Casper, d’après diverses sources européennes et internationales
I- Leur proximité
L’inauguration des Jeux Olympiques d’hiver à Pékin début février a permis aux présidents Poutine et Xi Jinping de se rencontrer pour la 38e fois depuis 2013. Les Chefs d’Etat russe et chinois ont signé à cette occasion une longue « Déclaration commune sur l’entrée des relations internationales dans une nouvelle ère et sur le développement global et durable », censée marquer une étape importante dans le rapprochement entre les deux pays, qui sont poussés l’un vers l’autre par la politique hostile et de sanctions de la part des Etats-Unis et de l’UE.
Leur opposition commune à l’hégémonie américaine ainsi qu’aux valeurs occidentales, dont celle de la démocratie, ont été les moteurs de ce rapprochement.
Ils ont resserré leurs liens dans les domaines militaire et sécuritaire dans leur voisinage commun. Les exercices conjoints sur terre et dans les mers s’y sont multipliés et la Chine est devenue le premier client des exportations d’armes russes, la Russie fournissant des matériels de haute technologie comme le système anti-aérien S-400 ou le chasseur SU-35.
Sur le plan économique, la progression a été tout aussi remarquable. Il se sont accélérés après la crise ukrainienne en 2014 et les sanctions occidentales. La part chinoise dans le commerce extérieur russe est passée de 10,5 % en 2013 à 18,3 % en 2020, année de la pandémie.
Leur coopération technologique, avec la signature en 2019 d’un accord avec Huawei pour développer la 5G en Russie, s’est renforcée.
Enfin les deux pays ont également décidé en 2020 de réduire leur dépendance financière vis-à-vis du dollar. Ainsi, au quatrième trimestre de l’an dernier, 83 % des importations chinoises de Russie ont été réglées en euros.
La question qui tout naturellement se pose est de savoir jusqu’où le rapprochement russo- chinois pourrait-il aller.
II- Les limites de leur rapprochement.
Une défiance existe entre eux. Elle est héritée de l’Histoire et renforcée par la peur irraisonnée de la population russe, notamment en Sibérie et dans l’Extrême-Orient russe, de voir la Chine surpeuplée tenter de s’emparer de leurs terres sous-peuplées. Y a-t-il un danger de « colonisation rampante » de la Sibérie par les Chinois ? Des chiffres de plusieurs millions d’immigrés chinois en Sibérie circuleraient. En outre, il est admis que la Sibérie renferme 7 % des réserves mondiales connues de platine, 9 % de celles de charbon et de plomb, 10 % du pétrole, 14 % du molybdène, 21 % du nickel et 30 % du gaz naturel ce qui peut susciter de l’envie.
Les deux pays sont déjà en situation de profonde asymétrie.
La Chine est une puissance montante. Elle est devenue la première économie mondiale. Son budget militaire croît chaque année à un rythme très rapide. Il est désormais le deuxième budget militaire au monde.
L’économie russe est une économie de rente. Elle repose essentiellement sur ces ressources en hydrocarbures. La Russie est en passe de devenir une puissance de deuxième rang, sauf dans les domaines militaire et spatial.
Le déséquilibre démographique est doublé d’une asymétrie économique et commerciale. Les produits énergétiques et minéraux dépassent 70 % des exportations russes vers la Chine alors que les Chinois fournissent principalement à la Russie des équipements industriels et de haute technologie. Les Russes se montrent donc relativement prudents notamment face au gigantesque projet de la « Belt and Road Initiative ».
Sur le plan sécuritaire, la dépendance de la Chine vis-à-vis de la Russie, qui ne subsistait que dans le domaine des armements sophistiqués, semble s’affaiblir. Par ailleurs, la Chine apparaît à présent vouloir de plus en plus assurer directement la sécurité en Asie centrale et remettre en question le rôle principal tacitement dévolu à Moscou dans ce domaine. Ainsi la Chine a-t-elle établi une base militaire au Tadjikistan afin notamment de contrôler la frontière entre ce pays et la région chinoise très sensible du Xinjiang.
Leur partenariat n’est donc pas une alliance diplomatique, politique et militaire incluant un traité de défense mutuelle. Aucun texte bilatéral, dont le Traité d’amitié et de coopération de 2001, qui vient d’être prolongé de 5 ans, ou la Déclaration du 4 février dernier, ou encore l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), accord multilatéral réunissant, outre la Russie, la Chine et les cinq républiques : Asie centrale ; Inde ; Iran et Pakistan, ne comporte de clause d’assistance mutuelle à l’exemple de l’article 5 de l’OTAN.
La relation russo-chinoise a ainsi pu être qualifiée d’« axe de convenance » et une « vassalisation » de la Russie n’est pas exclue à terme.
Certes, la grande proximité entre la Russie et la Chine est toujours significative alors que les deux pays sont engagés dans la crise en Ukraine et à Taiwan. Mais, la Chine, qui n’a pas reconnu l’annexion de la Crimée, s’est abstenue d’accorder officiellement son soutien à la Russie dans son conflit avec l’Ukraine. La Chine s’est abstenue le 2 mars de voter une résolution adoptée massivement par l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression russe. Cette résolution était inspirée d’un texte rejeté la semaine précédente par le Conseil de sécurité en raison d’un veto posé par la Russie, la Chine s’abstenant (à l’Assemblée générale de l’ONU, le droit de veto n’existe pas et ses résolutions ne sont pas contraignantes).
La Chine soutient tous les pays dont le régime politique, qu’il soit démocratique ou autoritaire, est stable. La stabilité politique facilite les échanges. Le désordre que l’invasion russe de Ukraine va entraîner pourrait conduire la Chine à intervenir discrètement auprès du président Poutine pour qu’il se calme. Si les Etats-Unis, fidèles à la realpolik d’un Kissinger, se joignaient à cette démarche, celle-ci pourrait conduire le maître du Kremlin à atténuer le discours de la Chine dénonçant la « mentalité de guerre froide » des Etats-Unis tout en rappelant l’amitié « éternelle » qui existe entre la Chine et la Russie.
L’invasion de l’Ukraine va permettre aux dirigeants chinois d’évaluer ce que pourrait être la réaction des Occidentaux si la Chine envahissait Taiwan.
La situation de l’Ukraine n’est pas comparable à celle de Taiwan qui n’est reconnue internationalement que par quelques pays mineurs. En revanche, Taiwan bénéficie d’une protection militaire des Etats-Unis tandis que l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN. Mais le désir de réunifier la Chine en annexant Taiwan avant 2049, année qui marquera le centenaire de l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, est puissant.
L’important n’est pas l’intention, mais le potentiel » (Bismarck).