Voici quelques passages importants de la conférence donnée par Michel Barnier interrogé par Pascale Joannin, Directrice de la Fondation Robert Schuman, à l’Hôtel de l’Industrie au Salon Lumière, le 15 novembre dernier devant une salle comble:
Les leçons à tirer du Brexit
« Le Brexit est un divorce douloureux et couteux .. qui nous affaiblit les uns et les autres»
« Le Brexit n’est pas responsable de toutes les difficultés britanniques actuelles. Mais le Brexit rend ces difficultés britanniques toutes plus graves. »
« Protéger les intérêts de l’Union était mon rôle. »
« Pas question que les britanniques remportent le beurre et l’argent du beurre. No way. «
« La leçon principale du Brexit est un avertissement. Comment 52% des britanniques, dans un vote démocratique, ont pu voter contre l’Europe ?
Il y a des raisons britanniques : Des nationalistes comme M. Farage ou M. Johnson avec des idées nostalgiques rêvaient d’une Global Britain … et sont parfois très sincères dans leur engagement. Vous avez en plus des gens de la City qui les ont soutenus financièrement, pour des raisons moins nobles, car ils voulaient se dégager et se protéger des règles européennes de supervision. Ces deux groupes-là ont utilisé quelque de chose de très important : la colère sociale des régions britanniques dans lesquels il n’y a plus d’industrie, plus de transport public, une immigration mal maitrisée … une vraie colère qu’ils ont à ce moment-là dirigé contre Bruxelles, contre une mondialisation mal maitrisé. Il y a eu des mensonges. La démagogie, le nationalisme, le populisme, cela n’interdit pas de constater qu’il existe un sentiment populaire, et il ne faut pas le confondre avec le populisme. Ce sentiment populaire, est encore plus exacerbé aujourd’hui dans ces mêmes régions britanniques, mais il existe aussi chez nous ; et il faut l’écouter, le comprendre et y répondre.
Les grandes orientations de l’UE
« Je souhaite que l’UE s’attache moins aux petits détails qu’aux grandes causes, et démontre par ses politiques sa valeur ajoutée. C’est une valeur ajoutée d’être ensemble vis-à-vis des américains et des chinois, d’investir ensemble, de mieux protéger nos frontières ensemble et pas séparément, d’être moins naïf dans le commerce ? »
La défense européenne
« Il faut faire attention sur la question de la défense européenne. La défense collective territoriale est, pour l’instant et pour la quasi-totalité des pays européens, l’OTAN. Et, dans le moment grave où nous sommes avec la guerre à côté de chez nous, il y a une sorte de repli sur l’OTAN sous le parapluie américain ; alors même que les américains cherchaient à se dégager en Europe. Le chemin est étroit entre ceux qui comme nous Français, plaident pour une autonomie stratégique de l’Europe, et puis la solidarité de l’OTAN que nous ne devons pas remettre en cause. Je trouve insensé que certains hommes politiques, à droite ou à l’extrême-droite, prêchent qu’il faille se retirer du commandement intégré de l’OTAN. En revanche, il y a un chemin pour ce que Chirac et Tony Blair appelaient « l’accord de Saint-Malo » : une défense européenne solidaire et autonome. Autonome, capable de se projeter par elle-même, sans permission ; et solidaire dans l’OTAN. C’est ça que nous essayons de faire patiemment, mais cela exige beaucoup de travail. Nous venons seulement, pour la première fois, de créer un fond qui permet au budget de financer des investissements stratégiques et militaires pour la première fois en 60 ans. Il y a des programmes communs, des coopérations bilatérales. Pas à pas nous avançons, tout en faisant attention de ne pas critiquer ou agresser l’OTAN de façon excessive, car immédiatement cela provoque un repli, une crainte. Mais je pense que le chemin existe, et je continuerai à plaider pour cette défense européenne autonome et solidaire. »
L’entrée rapide de l’Ukraine dans l’UE
« L’Ukraine, en raison de cette guerre provoquée par M. Poutine et l’invasion par la Russie, démontre un sentiment national tout à fait admirable, que M. Poutine a toujours nié ou sous-estimé. l’UE a déjà un accord d’association avec l’Ukraine. Celui-ci est très ambitieux. Appliquons cet accord dans toutes ses dimensions.
Maintenant l’UE a enclenché, pour aller plus vite, un processus d’adhésion, donnant le statut de candidate à l’Ukraine. Je pense que cela va prendre du temps. Il ne faut pas se raconter des histoires. L’Ukraine ne va pas rentrer dans l’Union demain matin. Il faut qu’ils soient prêts, et ils ne le sont pas, surtout en ce moment ; et nous non plus, nous ne sommes pas prêts. »
Le projet d’un régime fédéral européen de type allemand
« Il y a une partie de la réalité européenne qui est fédérale comme la monnaie, mais je me méfie de ce genre de termes qui n’ont pas la même définition des deux côtés du Rhin. En Allemagne, le « fédéralisme » signifie décentralisation, régionalisation ; chez nous cela veut plutôt dire centralisation. Les allemands et les français doivent déjà se reparler et remettre de l’ordre entre eux dans leurs idées. La coopération franco-allemande, dans le contexte actuel, est de plus en plus nécessaire, et de moins en moins suffisante. Si le dialogue est rompu, tout se bloque. Et dans ce moment où nous sommes, c’est très grave, car il y a des pays en Europe qui viennent de changer de majorité gouvernentale (Pologne, Italie, Suède, Hongrie) qui pourraient créer un axe différent. Les Français et les Allemands doivent être à la hauteur de leurs responsabilités pour le projet européen. Si l’on doit aller plus loin, Français et Allemands d’abord, puis avec d’autres. C’est ainsi qu’ il y aura une coopération renforcée qui permettra ensuite de l’envisager. Si créer un noyau fédéral doit amener à détricoter la zone euro, alors non. Il faut corriger, réformer, compléter, aller plus loin dans certains domaines, mais surtout pas détricoter. »