Editorial de Jean-Claude Houdoin, avril 2020

« Europe réveille-toi, l’espoir au bout du tunnel ? »

Par Jean-Claude Houdoin

Le mois dernier, nous étions au cœur de la crise, certains de nos amis étaient dans la peine d’avoir perdu un proche, d’autres souffraient ; les combattants de cette « guerre » étaient médecins, infirmiers, chercheurs ou anonymes qui nous aidaient à vivre ou à survivre. Nous ne sommes pas sortis de la crise, nous envisageons seulement de le faire… progressivement, individuellement et collectivement !

Tous les jours, nous comptons nos morts, nous écoutons la lecture du bilan chiffré de l’évolution du nombre d’entrées et de sorties de nos malades dans les hôpitaux, de l’estimation du nombre de personnes touchées par l’épidémie. Tous les jours, nous avons droit aux débats entre experts, aux échanges entre les membres du gouvernement qui présentent ce qu’ils font et ce qu’ils vont faire et les représentants des partis politiques d’opposition qui viennent critiquer ce que les premiers proposent. Tous les jours, sur nos radios, nous écoutons nos piliers du café du commerce venir nous entretenir de leurs solutions ou de leurs états d’âme.

Cela est bien de le savoir, mais nous devons aujourd’hui aussi réfléchir sur la sortie de la crise. La première étape concerne la maîtrise des risques liés au déconfinement, donc au respect des consignes, aux précautions à prendre tant au niveau individuel que collectif. Tous les pays confrontés à ce risque adoptent des mesures barrières assez proches avec des nuances liées au contexte local et à des contraintes spécifiques. Ces mesures sont avant tout nationales et ne concernent l’Europe que dans la limite où certaines ne peuvent remettre en cause durablement les droits des citoyens. La libre circulation des biens et des personnes est l’un des points délicats qu’il convient de surveiller pour éviter les abus dans le temps. L’état d’urgence ne peut être un prétexte pour modifier les principes démocratiques. Les cas polonais et hongrois doivent être regardés avec la plus grande vigilance.

Mettre à l’arrêt ou réduire fortement l’activité a des conséquences économiques et sociales majeures que chaque état doit prendre en compte. Début avril[1] 45 % des Italiens, 31 % des Français, et 24 % des Allemands déclarent que la crise a eu des conséquences sur leurs revenus. Et même 17 % des italiens concernés disent n’en avoir reçu aucun pendant le confinement !  Au premier trimestre, la France enregistre une baisse de 5,8 % de son PIB par rapport à celui de 2019. La demande et l’offre se sont brutalement écroulées et le second semestre 2020 s’annonce encore plus terrible.  Face à ce désastre, néanmoins, nous disposons de l’expérience et d’outils efficaces pour relancer l’économie. Si une réplique ne nous oblige pas à envisager de nouveaux confinements, les décisions prises par les Etats membres, l’Union Européenne et la BCE vont considérablement en amortir les effets négatifs. D. Strauss-Kahn[2] nous décrit bien le phénomène de la récession à venir qui mêle un choc sur l’offre et un autre sur la demande. A la suite du confinement, il est inévitable que la production chute. « Des entreprises vont réduire leurs effectifs, d’autres vont fermer. Ces emplois-là sont perdus, sans doute pour assez longtemps. » Coté de la demande : « Les revenus d’une partie de la population s’évanouissent, les consommations jugées non indispensables sont reportées, celles rendues impossibles par le confinement et, comme « mes dépenses sont vos revenus » la demande faiblit encore. »

Les Etats-membres soucieux de préserver à la fois la demande (chômage partiel, soutien à la demande des plus démunis, mesures pour relancer la consommation de biens durables… ) et l’offre (report des charges sociales, garanties apportées aux prêts bancaires… ) seront soutenus par les décisions de la BCE (plan de soutien de 750 milliards € …, suivi d’un plan complémentaire) et de la Commission européenne (suspension des règles de discipline budgétaire, levée de l’encadrement des aides d’Etats, création d’une réserve de matériel médical, sans oublier les garanties apportées dans le cadre du SME et de la BEI et … d’éventuelles décisions à prendre dans le cadre d’un fonds d’urgence pour soutenir la reprise).

Il est naturel pour les dirigeants des Etats européens de tenir compte de leur opinion publique, et d’agir en fonction des prochaines échéances électorales. Aussi n’est-il pas surprenant de relever leur frilosité pour prendre des décisions d’intérêt général dont les effets bénéfiques sont peut-être à lointains et en contradiction avec leur intérêt immédiat. Ne serait-il pas judicieux de confier à la Commission plus de pouvoirs pour élaborer les politiques à long terme de l’Union et mieux répondre aux défis des autres acteurs géostratégiques mondiaux que sont la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Russie où le Brésil.

Si la crise a mis en lumière les faiblesses de nos démocraties et de l’Union, elle peut être l’opportunité de les corriger, en réactualisant ses missions et ses compétences.

[1] Enquête Kandar Sofres du 9 au 13 avril

[2] Dominique Strauss-Kahn : « L’Etre, l’avoir et le Pouvoir dans la crise» article parue dans Politique internationale n°167 printemps 2020

Soutenez-nous en partageant cet article :

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur print
Partager sur email

Ces contenus peuvent vous intéresser :